23.5.05





DE L’INCONVÉNIENT D’ÊTRE N(i)É PEOPLE




« Ouais génial ! Hier soir, j’ai été à une fête champagne énooooorme. Y’avais Mya Frie et Elie Semoun. Y’a même une copine qui m’a présenté Jean Paul Rouve ! ! ! ».
« Comment ça t’es pas au courant ? J’ai un pote qui m’a dit qu’une bonne copine à lui a vu Björk au Baron. Elle y aurait même passée des disques. Et j’y étais même pas pffff… ».
« Pour le Manifeste de La Couleur au Palais de Tokyo supporté par André et Ariel Wizman pour Newman sont d’ore et déjà confirmées les personnalités suivantes : Thomas Dutronc, Satya Oblet, François Cluzet, Sagamor Stevenin, Vincent Elbaz, Frédéric Diefenthal ».


Aftershow de concert, avant première de film, inauguration de magasin, lancement de produit, remise de prix, anniversaire de lieu, vernissage mondain : pas un événement qui ne soit censé être totalement réussi sans la présence indispensable de l’Incontournable.
Syndrôme des années loft et paillette, le « people », de par sa traduction même, doit s’imposer et « parler » au peuple, par son unique présence, pour l’importance de l’instant . En retour, celui-ci sera récompensé, largement divulgé dans les magazines à potins, les émissions TV spécialisées ou par le sacro-saint bouche-à-oreille conséquent du m’as-tu-vu, selon les communiquants apôtres du marketing viral. Le people est cette divinité dérisoire d’un monde sans Dieu qui n’as plus que la vision de son propre vide qui puisse le convaincre qu’il existe bel et bien : esse est percipi.

Comme il se doit, les grands prêtres de cette nouvelle religion universelle de l’apparence et de la consommation ne sont pas les moindres dupes, exploitant la naïveté et la crédulité de leurs fidèles, distribuant bons ou mauvais points, entretenant l’illusion en rapprochant et éloignant simultanément l’objet de la vénération, par la proximité du papier glacé qui s’oppose à son inacessibilité au commun des mortels. La légende d’un endroit tel que le Palace tient à ce que la personnalité célèbre y côtoyait le plus parfait inconnu, le génie de son fondateur Fabrice Emaer étant de l’avoir compris. Cette utopie engagée en 1978 ne tint néanmoins pas si longtemps car, dès 1980, devant le trop gros succès de l’expérience, la jet-set et les vedettes se dépêchèrent de s’enterrer dans le sous-sol du bien-nommé Privilège, avènement du coin VIP - quand les bas fond dorés de la notoriété peuvent enfin rester entre eux.
De suite, les RP de l’ultralibéralisme virent vite quelles bénéfices ils pourraient tirer de cette stratégie du « si loin / si proche », attisée à l’heure de la prolifération médiatique. Logiquement, l’avènement de la télé-réalité accentua ce phénomène, quand chacun peut désormais avoir son quart d’heure de gloire, selon la célèbre formule chère à Andy Warhol.

Auparavant élu et désigné tel pour ses qualités réelle ou supposées, le people devient maintenant ce parasite vivant en autarcie schizophrène avec son propre monstre, Moloch dont il se nourrit et qui le dévore. Condamné tôt ou tard à l’oubli, qualifié à être l’homme sans qualité, il est le prisonnier consentant de sa propre condition, mimant une importance qu’il sait ou ressent dérisoire, entraîné à représenter l’artefact d’un idéal de vie, attristé secrètement à incarner une joie fictive qu’il entretient sous peine de sombrer dans les ténèbres de l’anonymat. Ce n’est pas un hasard si dorénavant, les moments réellement festifs ne se passe plus dans ce « triangle d’or » parisien usé par la futilité et l’arrogance, mais dans les fêtes ponctuelles, les lieux cachés, où la proximité et la convivialité triomphe de l’ennui, ultime avatar de la société du spectacle.